jeudi 7 mars 2013

Suzanne Tremblay, une souverainiste monarchiste?

Rule, Britannia

La pendaison de cinq Patriotes devant la prison de Montréal, au Pied-du-Courant.
Dessin d'Henri Julien (XIXe siècle)


Le 15 février 1839, Chevalier de Lorimier s'écria avant de mourir sur l'échafaud: «Vive la liberté, vive l'indépendance!» Je m'adresse en son nom à madame Suzanne Tremblay(1). J'apprécierais que vous éclaircissiez dans mon esprit un fait troublant. Vous avez accepté la Médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II en janvier dernier. Comment conciliez-vous cela avec vos 11 années à siéger sous les couleurs du Bloc québécois (1993-2004)? En quoi être une «bonne Canadienne» et «loyale sujette de Sa Majesté», telle une Elvis Gratton du star-system monarchique, s'accordent-ils avec vos convictions souverainistes? Au fait, êtes-vous encore souverainiste?

Une offensive fédéraliste et conservatrice

Stephen Harper se sert de l'appareil gouvernemental pour réaliser ses fins. Aux symboles canadiens «trop rouges» que représentent la Charte des droits et libertés, les soins de santé universels et les missions de paix à l'étranger succèdent l'austérité, la reine et une armée «bleues».

Tout accepter revient à tout subir. Cette médaille, produite en 60 000 exemplaires et distribuée au coût de 7,5 millions de dollars, fait partie de l'offensive monarchiste des conservateurs au même titre que les festivités (28M$) entourant le bicentenaire de la guerre de 1812. Ils élèvent l'âge de la retraite et coupent actuellement l'assurance-emploi de travailleurs qui n'ont pas votre fonds de pension! Ex-syndicaliste, vous démontrez à l'égard de ces derniers un manque flagrant de solidarité. Présidente de la Coalition Urgence Rurale et de la Coalition régionale contre la réforme de l'assurance-emploi, vous faites preuve d'une remarquable incohérence.

L'incohérence d'une «vire-capot» à l'oeuvre:

Suzanne Tremblay, dans le coin supérieur droit,
s'oppose à la réforme de l'assurance-emploi de Harper
(Photo: Pierre Michaud, Progrès-Écho, 3 mars 2013, p. 3.)


Suzanne Tremblay encourage les festivités monarchistes de Harper (Photo: Jill Thompson, Calgary, 9 octobre 2012, site du premier ministre du Canada)













Ces célébrations exubérantes, jubilatoires, furent dénoncées par le Bloc québécois et certains élus néo-démocrates pour ce qu'elles sont: propagande et «symbole de colonisation» (Maria Mourani, Le Devoir, 8 février 2012). Ce «gaspillage» (Éditorial d'Élisabeth Fleury, Le Soleil, 27 décembre 2012) «ne correspond tout simplement pas aux valeurs du Québec (Louis Plamondon, TVA Nouvelles, 7 février 2012).» Soucieux d'entretenir un cercle d'amis influents, le député du NPD Guy Caron exécute pourtant la volonté de Stephen Harper et dévoie ses compatriotes.

L'esprit est prompt, mais la chair est faible. 30 personnalités de chez nous «jouissent» d'une distinction rétrograde. La présidente du conseil d'administration du Mouton NOIR, Colombe St-Pierre, figure sur la liste(2). Ces hommes et ces femmes savent-ils seulement assumer leurs engagements fédéraliste et monarchiste qui font d'eux des Lise Thibault en herbe (voir «Affaire des dépenses excessives»)? Enfin, ne nous abusons pas. Dans toute cette mascarade, la plus désinvolte demeure vous, Suzanne Tremblay.

Je reçus la nouvelle comme une gifle. C'est une erreur de jugement. Imaginez Jean Chrétien ou Stéphane Dion accepter une décoration de la Société Saint-Jean-Baptiste! Vous êtes la première souverainiste monarchiste que je connaisse. Jusqu'où va votre consentement?

Vous semblez croire qu'il soit possible d'être souverainiste à Québec et fédéraliste à Ottawa ou vice versa. Une chatte y perd ses chatons à vous voir «manger à tous les râteliers». Vous devez une explication à ceux qui vous firent confiance et qui, aujourd'hui, ne comprennent rien à votre attitude.

Honorer la reine n'est pas un jeu. L'acte porte à conséquence. Que les journalistes aient transmis l'information sans sourciller et que cela passe «sous le radar» de l'opinion publique en dit long sur la dépolitisation de notre société.

Petit rappel à la gauche multiculturaliste et à la droite libertarienne, jumeaux idéologiques du libéralisme radical: si être citoyen du monde est devenu cliché, l'enracinement du politique nécessite que l'on ne puisse changer d'identité comme de chemise. N'en déplaise à Colombe St-Pierre et à l'équipe du Royal Sheep, les nations existent encore.

Une carrière politique jalonnée d'inepties (3)

Il y a un an à peine, lors de la dernière crise au Parti québécois, vous étiez «outrée» par les déclarations de Bernard Drainville: «C'est lui qui est en train de s'effondrer, pas le parti» (http://www.radio-canada.ca/regions/est-quebec/2012/01/22/001-duceppe-tremblay-suzanne.shtml). Or, à l'évidence madame, vous faites une piètre donneuse de leçons!

Des sources, aussi bien sérieuses que satiriques, vous présentent carrément comme une «loose cannon», la «Don Cherry francophone» (Serge Chapleau, 1998, http://www.mccord-museum.qc.ca/scripts/viewobject.php?section=162&Lang=2&tourID=vq_p4_6_fr&seqNumber=26).


Caricature de Serge Chapleau, 1998, Musée McCord

André Néron, directeur de cabinet du chef bloquiste Michel Gauthier, devait vous «tenir par la main». Âgé de 35 ans et vous 60, il écrit dans Le temps des hypocrites publié chez VLB éditeur en 1998:

Chaque fois que les journalistes attaquent une de vos déclarations, ils le font parce que c'est sorti ''tout croche''. Vous auriez donc intérêt à en dire le moins possible [...] [Quelques responsables du parti] avaient dressé une liste des députés «à problèmes» ou qui, à leurs yeux, ne possédaient aucune qualité politique ou parlementaire. Les premiers ciblés étaient des gens comme Suzanne Tremblay [...] (p. 141, 142 et 144)

Dans son éditorial du 28 mai 1997 (vigile.net/archives/pol/election/lbbloc.html), la directrice du Devoir, Lise Bissonnette, appuie le Bloc québécois «pour le principe», mais souhaite précisément votre défaite. Je la cite textuellement: «selon ce qu'exige l'intelligence»! Or, comme le Bloc a besoin d'être premier chez les francophones et que Rimouski est francophone à 99%, vous êtes parvenue à vous faufiler trois fois plutôt qu'une. Misère!

Les médias vous accordent trop d'importance. Souverainiste avec Pauline Marois, monarchiste avec Stephen Harper, pro-Boisclair en novembre 2005 et Québec solidaire en février 2006 (4), ne craignez-vous donc pas le ridicule?

«Les libertés du peuple soldent ces honneurs(5

Bref, madame Tremblay, participer à notre aliénation en «tétant les honneurs» est vanité. La médaille vaut 60 dollars. Serait-ce votre prix? Et l'Histoire (pendaison des Patriotes, coup de force de 1982, déportation des Acadiens), vous y avez pensé? Retraitée, vous exercez votre liberté à perpétuer nos chaînes.


Un documentaire pertinent
Le temps des bouffons de Pierre Falardeau (1993)

Nota bene:

Il est possible de signer une pétition demandant l'abolition du poste de lieutenant-gouverneur sur le site Internet de l'Assemblée nationale jusqu'au 15 mai 2013. https://www.assnat.qc.ca/fr/exprimez-votre-opinion/petition/Petition-3575/index.html

Ouvrage signalé:

André Néron, Le temps des hypocrites, Montréal, VLB éditeur, Coll. «Partis pris actuels», 1998, 216 p.
ISBN: 2-89005-687-2.

Notes et références:

(1) Suzanne Tremblay affirmait dans Le Rimouskois du 20 octobre 2010 à la page 3: «Il faut jouer du coude si on [les femmes] veut arriver à percer, à être vue et à être reconnue parce que si on a toutes la voix douce et qu'on ne parle pas trop, on ne va pas se réaliser.» Alors, je me lance!
(2) Le journal Voir du 22 mai 2008 rapporte qu'en cuisine la chef St-Pierre «milite contre le gaspillage». Quelle ironie!
(3) «Invitée à l'émission Le Point, de Radio-Canada, l'ancienne députée Suzanne Tremblay, partisane déclarée d'André Boisclair, a dit, entre autres inepties, que la position de Pauline Marois dans la course à la direction  du PQ pouvait être influencée notamment par le fait que la candidate a «trop maigri»... Les «gens» penseraient qu'elle est malade (sous-entendu, elle ne peut pas diriger un parti). [...] Mme Tremblay affirme qu'elle ne fait que rapporter ce qui se dit ''sur le terrain''. Si c'est le cas, le ''terrain'' péquiste est bien stérile et peu prometteur pour l'avenir du parti et du Québec.» Micheline Carrier, «Le facteur ''sexe'' dans la course à la direction du Parti québécois», Sisyphe, 14 novembre 2005 [En ligne]http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2056 (Page consultée le 29 juillet 2015).
(4) «Québec solidaire. Remous parmi les souverainistes du Bas-Saint-Laurent», Radio-Canada, 19 avril 2006, http://www.radio-canada.ca/regions/est-quebec/2006/04/18/004-bsl-quebec-solidaire.asp (Page consultée le 7 avril 2013).
(5) «Bourassa reproche aux chefs naturels des Canadiens français d'abandonner leur fierté, les revendications légitimes de leur peuple, pour une invitation, une décoration, un titre de sir. [...] Les libertés du peuple soldent ces honneurs.» Robert Rumilly, Henri Bourassa. La vie publique d'un grand canadien, Montréal, Chantecler, 1953, p. 111.

L'essentiel de cet article paru dans Le Mouton NOIR, Rimouski, vol. XVIII, no. 5 (mai-juin 2013), p. 9.

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Suggestion de lecture sur ce thème

La petite loterie. Comment la Couronne a obtenu la collaboration du Canada français après 1837,
Montréal, Boréal, 1997, 283 pages. ISBN: 2890528227. Basé sur la thèse de doctorat de l'auteur.

«Stéphane Kelly, dans une brillante application des méthodes de la sociologie historique, décrit ici les imaginaires à l'origine de la fondation du Canada, au milieu du XIXe siècle.

Stéphane Kelly est sociologue. Il a été chargé de cours à l'Université de Montréal et membre du comité de rédaction de la revue Possibles pendant de nombreuses années. (Note de l'éditeur

Voir la recension du politologue Marc Chevrier dans la Revue canadienne de science politique (vol. 30, no 4, décembre 1997, p. 745-747) ou dans l'Encyclopédie de L'Agora.

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La force d'un symbole


À l'instar du premier ministre Wilfrid Laurier (1841-1919) fait chevalier (sir), plusieurs des Canadiens les plus riches et les plus influents ont reçu des décorations de Londres lors du jubilé de diamant de la reine Victoria en 1897. Avec leurs nouveaux titres, ils se firent insuffler la conviction de la justesse du mouvement visant à la fédération impériale. Le secrétaire d'État aux Colonies, Joseph Chamberlain (1836-1914), put ainsi compter sur Laurier lorsque la guerre contre les Boers éclata en 1899.