samedi 1 juin 2013

Un rendez-vous manqué à Saint-Donat-de-Rimouski

Il y a dans les noms plus que de simples étendards onomastiques.
C'est la façon de s'afficher devant l'autre qui se joue,
à l'échelle des États comme à celle des groupes ou des individus.

FRANÇOIS-XAVIER FAUVELLE

Étienne Caron

La municipalité de Saint-Donat-de-Rimouski présente le 8 juin sa première édition de la Fête des Voisins. L'événement permet d'accroître le sentiment d'appartenance, de travailler ensemble à développer une communauté plus soudée et plus humaine, lit-on sur le site Internet de la Fête.

Il y a un lieu où les résidents de Saint-Donat se réunissent presque quotidiennement pour y célébrer les principaux rites (baptêmes, mariages, funérailles), la Fête nationale, accueillir les activités des aînés, voter aux élections ou tenir les séances du conseil municipal: le Centre communautaire L'Oasis. À ma demande, les édiles ont d'abord convenu de renommer à la Fête des Voisins l'édifice en «L'Oasis-Étienne-Caron».

Monsieur Étienne Caron (1915-2008) voua une bonne partie de son existence au service public. L'agriculteur de métier présida les destinées de Saint-Donat à un moment charnière de son histoire (1953-1981) ainsi que les fêtes entourant le 125e anniversaire de la municipalité en 1994. Il fut des luttes du Canada français, de tous les organismes à part le Cercle des fermières! Il ne fit évidemment pas l'unanimité. La politique est par définition un espace où s'exerce le pouvoir et s'aménage les conflits.

Caroline St-Laurent, «Le monde municipal bas-laurentien au milieu du XXe siècle.
Une histoire de vie: Étienne Caron (1915-2008)», L'Estuaire, no 70, juin 2010, p. 24-29. ISSN: 1484-6969.
Article disponible sur Sémaphore, le dépôt numérique de l'Université du Québec à Rimouski.



Les éteignoirs
Mais voilà, il suffit qu'un citoyen s'oppose pour que les membres du conseil jettent l'éponge sans plus amples consultations. Monsieur Réjean Lévesque, qui siégea au conseil municipal durant sa dernière année à la mairie et orchestra sa défaite en 1981, reste 32 ans plus tard son principal et irréductible adversaire. Tout au plus, accepterait-il une reconnaissance par les propriétaires actuels du Parc du Mont-Comi. Cette entreprise privée est libre de ses choix. Toujours est-il que la municipalité se doit de faire quelque chose, car c'est à l'identité donatienne que le plus mémorable de ses élus fut associé. Si les Bérubé, les Côté, les Hallé et les Lévesque se voient ça et là dans la toponymie, la famille Caron qui s'enracine dans ce coin de pays n'apparaît nulle part.

À la séance du 4 février, le retraité baby-boomer est intervenu, pas une, mais deux fois, pour s'assurer que le projet d'une jeune avorte. Étienne Caron aurait été contre l'achat de L'Oasis. À cela, je réponds qu'il n'était plus maire depuis 15 ans! Économe devant l'Éternel, il voudrait plus que tout aujourd'hui rentabiliser l'investissement. Toujours en verve, le citoyen brandit le spectre de morts se retournant dans leur tombe. Je m'intéresse aux vivants. Ainsi, les résidents de Saint-Donat peuvent connaître mes efforts et s'approprier leur histoire depuis 2010 en consultant le site Internet de la municipalité.

Le maire Étienne Caron est remercié par le ministre des Affaires municipales
et futur Premier ministre du Québec, Jacques Parizeau.
Photo: Gracieuseté de Martin Desjardins

L'effritement du monde commun

Voici le tableau: l'addition de un et un n'offusque pas monsieur Lévesque à condition de ne jamais donner deux! Les mêmes conseillers, qui passèrent outre les admonestations de ce dernier concernant la toile de la patinoire, s'en lavent aujourd'hui les mains. Vous connaissez maintenant l'absurde quadrature du cercle par laquelle un conseil irrésolu, indifférent à mon travail, bloque l'expression d'un hommage légitime.

Nous revenons à la case départ. Et pourquoi ne pas ajouter à L'Oasis le nom d'une petite vedette locale au nombril percé tant qu'à être frileux et superficiel? Un village festif, préoccupé par la seule consommation de l'instant présent, à l'image d'une société aseptisée, fuyant toute épaisseur culturelle, toute pesanteur historique, par crainte de heurter les susceptibilités, mais aussi par mauvaise conscience. À l'heure où la transmission du patrimoine québécois n'est pas assurée, les nouveaux arrivants ont toutes les raisons de croire que nous sommes une «page blanche», une banlieue-dortoir sans personnalité, où certains, à commencer par le maire (Le Jaseur, février 2010), révèlent envoyer leurs enfants directement à l'école anglaise!

Saint-Donat-de-Rimouski deviendra-t-il
 un «village Potemkine»?
Photo: Gregor Sailer


Face à cette régression collective, cette barbarie douce, il ne me reste qu'un atout. La population est plus instruite que jamais. J'ose croire qu'en m'adressant à son intelligence nous sauverons ce qui peut encore l'être. La conscience historique est une vertu citoyenne. Elle inspire souvent l'héroïsme, le courage, le sentiment du devoir.

Étienne Caron marqua son époque. Ah oui, j'oubliais, il était un conservateur, figure honnie de l'arriéré pour son détracteur infatigable. Est-ce un crime suffisant pour lui interdire droit de cité? Les Donatiens et les Donatiennes qui l'ont plébiscité pendant 28 ans devaient l'être aussi un peu. Vox populi, vox Dei! Un peuple qui rejette son passé n'a pas d'avenir. Finalement, je préfère citer un autre Lévesque, René de son prénom: «Si je vous ai bien compris, vous êtes en train de dire à la prochaine fois».

«Nous souhaitons que l'élan que vous avez donné à l'épanouissement de notre milieu et que vous avez si bien amorcé, se poursuive au-delà de notre génération.» - Hommage d'un citoyen lors de son 25e anniversaire à la mairie le 30 septembre 1978.

Article paru sur le site Internet du journal L'Avantage de Rimouski le 30 mai 2013.

Un oasis sans nom à Saint-Donat-de-Rimouski
Photo: Site Internet de la municipalité
Nota bene

Si j'avais voulu faire publier ce texte dans le journal municipal (Le Jaseur), tous les obstacles auraient été réunis pour me barrer la route: longueur, saison estivale, etc. Aussi c'est à mes frais que je me résolus à le diffuser par la poste à tous les foyers donatiens.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire